Les secrets de l'harmonie du couple
L'homme et la femme sont-ils faits pour vivre ensemble? «Oh! que non, pensons-nous quand l'autre nous énerve. Nous sommes si différents!» Et si, justement, ces différences constituaient une force, un atout? À bien y penser, la complémentarité offre peut-être un terreau fertile à l'amour...
À la base, l'homme et la femme sont différents, tant physiquement que psychologiquement. Tout le monde le sait, inutile d'en faire la démonstration. Ceux qui en douteraient encore - des célibataires, assurément! - n'ont qu'à lire, pour s'en convaincre, Hommes viennent.. mars,femmes.. venus, de John Gray. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de gommer nos disparités: la quête de l'égalité entre les sexes a provoqué une espèce de confusion des genres. Comme si l'homme et la femme devaient se ressembler le plus possible!
Or, selon l'avis de plusieurs spécialistes de l'amour, c'est là que réside la cause essentielle de l'échec actuel des relations de couple. Et si, en plus des différences liées au sexe, on cherche à supprimer celles qui relèvent de la personnalité, alors là, on est cuits! Vouloir changer l'autre est une entreprise frustrante et vaine, de la même manière qu'essayer d'entrer dans un moule qui n'est pas le sien est intenable. Chacun gaspille son énergie à défendre son territoire, à tenter d'empiéter sur celui de l'autre, et on finit par ne plus pouvoir se supporter.
Le fait d'accepter nos différences - autant celles liées au sexe qu'à la personnalité -, et de les considérer comme des attributs complémentaires peut-il nous conduire à réinventer le couple, à revoir notre façon de vivre à deux? Est-ce le secret pour qu'un couple dure? Possible. «La confusion actuelle résulte du refus de nos dissemblances: c'est en nous acceptant et en intégrant les différences de l'autre que nous apprendrons à cultiver notre complémentarité sans compromettre notre identité», soutient John Gray dans Mars et Vénus, les chemins de l'harmonie.
Toi et moi, ça fait trois
Pour certains couples, un plus un égale un: toi plus moi égale un couple. Mais pour les conjoints qui vivent en harmonie avec leurs différences, tant fondamentales qu'individuelles, un plus un égale trois: toi plus moi égale toi, moi et un couple. Évidemment, ça donne parfois des paires drôlement dépareillées!
Sylvie et Michel ont l'habitude de commentaires du genre «Je n'aurais jamais pensé que vous étiez ensemble!» Sylvie est artiste peintre, dépensière, sédentaire et marginale; lui travaille sur des chantiers de construction, est économe, sportif et plutôt conformiste. Ils se fréquentent pourtant depuis 25 ans.
Laurence, psycho-éducatrice, et Manuel, pompier, ont pour leur part cinq ans de vie commune à leur actif. Laurence est sociable, organisée et a tendance à se soucier des apparences; lui est réservé, intuitif et se préoccupe peu du regard des autres. Ils ont déjà fait un bon bout de chemin - le plus dur, pense Laurence -, bien qu'ils en soient encore à se découvrir et à apprendre à mieux se connaître.
Quant à Alain, géographe, et Caroline, gérante d'une parfumerie, ils sont aux antipodes. Alain adore le plein air, tandis que Caroline n'éprouve aucune attirance pour la nature; il est maladivement timide, et elle est fonceuse; il est bricoleur, alors qu'elle n'est pas manuelle pour deux sous. Ce qui ne les empêche pas d'être ensemble depuis 12 ans.
Sont-ils heureux? Oui. Sont-ils amoureux? Oui. Étaient-ils conscients de leurs dissimilitudes avant de former un couple? Oui. Alors, pourquoi se sont-ils embarqués quand même dans cette aventure? «Ça dépend de ce qu'on veut, affirme Jean Garneau, psychologue au cabinet Ressources en développement et auteur de plusieurs textes sur les relations de couple. Si on veut de la stimulation, il est certain que la complémentarité est plus attrayante que la ressemblance.»
Pareils, pas pareils?
«Les contraires s'attirent», prétend le proverbe. Selon John Gray, cette croyance serait tout à fait fondée. Toute création est le produit de forces complémentaires. La vie étant une création permanente, nous sommes constamment attirés par des forces susceptibles de compléter les nôtres et nous les attirons. L'alchimie opère dès qu'une personne décèle chez une autre l'une de ces qualités complémentaires. Les deux sont alors attirées l'une vers l'autre comme par un aimant. À l'intérieur de ce champ magnétique, une étincelle suffit à susciter l'attirance, le désir et la passion», déclare le célèbre auteur dans Mars et Vénus, les chemins de l'harmonie.
Mais les proverbes ont la manie de se contredire. Ne dit-on pas aussi: «Qui se ressemble s'assemble»? Philippe Turchet, auteur de Pourquoi les hommes marchent-ils à la gauche des femmes - Le syndrome d'amour, a tendance à pencher de ce côté. Il a beau affirmer que, dans un contexte de travail, plus on est différents, plus on a de chances d'être complémentaires et donc de bien travailler ensemble, il nuance quand il s'agit de vie conjugale. Ainsi, il soutient qu'un couple ne se développe pas dans la recherche de ses différences, mais plutôt dans l'approfondissement de ses ressemblances.
À cet égard, Pierre Langis apporte un bémol: «La similitude nous aide à comprendre l'autre. Mais la trop grande ressemblance comporte des risques, notamment celui de réduire nos chances de croissance personnelle ou même de nous ennuyer avec cette personne», explique-t-il dans Au coeur des relations intimes, psychologie de l'amour et du couple. Pour sa part, le psychologue français Willy Pasini déclare: «Les couples symétriques reposent souvent sur la compétition et sont donc plus à risque que les couples complémentaires.»
Simple affaire de point de vue, finalement! Dans les faits, ressemblances ou différences ne joueraient peut-être pas un rôle si déterminant. Dans une étude sur la stabilité des relations de couples, Marie-Christine Harvey et Stéphane Sabourin, du département de psychologie de l'Université Laval, écrivent: «Les résultats démontrent que les couples dont les traits de personnalité sont similaires ont un niveau de satisfaction conjugale semblable aux couples dont les traits sont complémentaires. Les résultats indiquent aussi que le fait d'être dans un couple dont les traits sont similaires ou complémentaires ne prédit pas la séparation.»
Différents, mais pas trop!
S'il n'est pas nécessaire d'être pareils pour s'aimer, jusqu'à quel point peut-on être différents? Selon François St Père, psychologue à la Clinique de consultation conjugale et familiale Poitras-Wright, Côté, il existe trois sortes de différences: conciliables, acceptables et inconciliables. Tandis que les couples composent généralement bien avec les premières, les dernières suscitent souvent des différends difficiles à surmonter.
On parle de complémentarité, croit le psychologue, quand les différences de l'autre sont perçues comme des forces qu'on apprécie et qu'on encourage parce qu'elles nous permettent de former une meilleure équipe. On ne les envie pas, elles ne nous font pas souffrir et ne nous poussent pas non plus à entrer en compétition. Bien sûr, elles demandent des ajustements, mais, somme toute, on s'en accommode plutôt bien.
Il arrive cependant que ça accroche un peu. «Au début, ça a été difficile, se rappelle Laurence. J'ai dû lâcher prise sur bien des choses.» Quand les différences touchent des points sensibles, elles peuvent conduire à de sérieux désaccords. Tout demeure néanmoins possible tant et aussi longtemps que le différend est clairement identifié et cerné, qu'il n'affecte pas le reste de la relation. Et qu'on s'en parle jusqu'à se comprendre et à se sentir bien ensemble malgré cette discordance. Il faut aussi parfois se demander si notre résistance n'est pas liée à notre passé. Par exemple, une femme qui a été trompée par son ex-conjoint et qui en a conclu que l'amitié entre hommes et femmes est impossible peut trouver insupportable que son conjoint actuel entretienne plusieurs amitiés féminines. En réalité, son malaise provient de sa propre insécurité, de sa peur d'être trompée. Si elle parvient à surmonter cette peur, la différence d'opinion ou d'attitude ne constituera plus un problème.
Quand la différence rend malheureux, par contre, quand elle nous empêche de nous épanouir, elle devient divergence. Impossible alors de passer outre, à moins que l'un des deux accepte de faire un grand sacrifice. «Gilles vient d'une famille nombreuse, raconte Sylvie. Il pensait qu'un seul enfant le comblerait. Moi, en tant qu'enfant unique, je n'étais pas du tout d'accord. S'il avait tenu son bout, je l'aurais quitté. Mais il a compris qu'on pourrait avoir un autre enfant et être très heureux.» Les différences de valeurs qu'on juge essentielles peuvent entraîner de profondes divisions. Ainsi, un être généreux finira par avoir du mal à supporter un conjoint chiche. Un gars tendre se lassera d'une fille dure. Une femme portée vers la spiritualité communiquera difficilement avec un homme matérialiste.
Où donc se situe le seuil critique? Cela varie d'une personne à l'autre. Ce qui est un défaut grave pour l'un ne constituera qu'un petit travers pour l'autre. Avant de déclarer forfait, il est bon de s'interroger. Pourquoi ce trait de caractère m'irrite-t-il à ce point? La situation est-elle vraiment insupportable, insoluble? Semblables ou différents, tous les couples ont intérêt à se parler. «Il arrive bien sûr que les demandes de l'autre aillent à l'encontre des nôtres, mais la qualité de la communication et surtout de l'écoute augmente les chances de trouver une solution», écrit Pierre Langis. Jean Garneau abonde dans le même sens: «Dans la mesure où l'on aime vraiment quelqu'un, on est prêt à accepter ses différences parce qu'on apprécie à peu près tout le reste. Les différences qui nous irritent vraiment, il y a toujours moyen d'en parler, d'en discuter.» «Les limites se situent dans le respect de l'autre», ajoute Sylvie.
L'union fait la force
Encore un proverbe! Vrai, indéniablement. La complémentarité, c'est aussi l'association de compétences diverses. Le couple devient une vraie équipe. Chacun bénéficie des talents de l'autre. «Les forces de l'un pallient les faiblesses de l'autre et inversement, de sorte que le couple comme unité parvient à réaliser des choses que chacun des membres pris individuellement trouverait plus ardues», explique Pierre Langis. Après avoir été victimes d'un cambriolage, Alain et Caroline ont éprouvé des problèmes avec leur assureur. Caroline a pris les choses en mains, s'est défendue, a gueulé et Alain, de nature plus passive, ne s'en est pas mêlé. «Je suis très heureux que Caroline soit comme ça. Moi, je n'aurais pas été capable de me battre», dit-il, soulagé et reconnaissant.
Le fait d'être complémentaires nous amène aussi à développer des talents, le conjoint nous servant de modèle, de mentor, de soutien, voire de professeur. Encouragée par Alain, Caroline fait maintenant du vélo - «en terrain plat, et je ne transporte pas ma bicyclette», tient-elle à préciser. La complémentarité peut également être une source de croissance personnelle. «Par son indépendance, soutient Laurence en parlant de Manuel, il m'a montré que je pouvais trouver la mienne. Je l'avais à l'intérieur de moi, mais je manquais trop de confiance pour l'exprimer.» Accepter et apprécier les différences de l'autre mène à une plus grande maturité, tant pour le couple que pour chacun des conjoints.
Attirés par des intérêts différents, les conjoints complémentaires passent souvent moins de temps ensemble, bien sûr. Sylvie y voit un avantage: «Moins de monotonie, plus d'action!» Perd-on le contact? Pas si on a envie de le garder! Laurence juge important de continuer à se raconter les petites et grandes choses du quotidien, même si elles datent de quelques jours. «Quand on a des vies parallèles, on oublie parfois de se tenir au courant de ce qu'on fait», remarque-t-elle. Mais la liberté qu'on s'accorde compense le fait de se voir peu. Et puis, il n'est pas nécessaire de vivre collés l'un à l'autre pour être heureux. «Cette liberté d'être soi-même, d'explorer ses propres voies et de développer ses ressources individuelles crée, entre les deux partenaires, un espace dynamique qui stimule la création, la liberté d'expression, l'exploration et le changement continuel», estime Jean Garneau. Il ajoute: «Essentiellement, ça nous mène vers l'épanouissement.»
Si la complémentarité n'est pas en soi un gage de durée, les aptitudes qu'on acquiert quand on vit avec un être différent de soi persistent, elles. Et quand un couple complémentaire continue d'évoluer dans l'amour et la joie, c'est qu'il a appris le respect mutuel. «On ne peut pas empêcher l'autre d'être ce qu'il est», affirme Sylvie.
Au cours d'une entrevue accordée au magazine français L'Hebdo, le psychologue Guy Corneau soutenait la même chose, en d'autres mots: «Si je regarde les quelques couples que je juge très heureux et dans lesquels les partenaires sont vraiment des tremplins l'un pour l'autre, je m'aperçois qu'il y a beaucoup de liberté dans ces couples-là, beaucoup de respect, beaucoup d'amitié et de compréhension pour un processus d'évolution qui n'est pas le sien.» Avec son aplomb habituel, Caroline résume la situation: «Je suis bien contente qu'Alain soit différent de moi. Ce qui compte, c'est d'abord qu'il soit lui-même.»
À lire
- John Gray, Mars et Vénus, les chemins de l'harmonie
- Pierre Langis, Au coeur des relations intimes, psychologie de l'amour et du couple, Éditions du Méridien
- Philippe Turchet, Pourquoi les hommes marchent-ils à la gauche des femmes - Le syndrome d'amour, Les Éditions de l'Homme